Je suis : entre script et jeux de liberté
« je suis curieuse » et « je suis très engagée pour mes clients »
Ces deux affirmations m’amènent parfois à expérimenter de nouvelles choses comme, par exemple, de figurer dans un film.
Nous avions passé plusieurs heures de tournage dans un train entre ville et campagne suisse. Iris, onze ans, tenait un des deux rôles principaux au cœur du scénario qui nous réunissait tous. A la fin de cette journée pendant laquelle je découvrais plus concrètement le travail de mon client ainsi que celui de l’équipe de tournage, je quittais ce train pour en prendre un autre qui me ramènera à mon domicile.
Entre ces deux trains, un échange spontané avec Iris m’invite à explorer la manière de se définir et de définir les autres.
Voici le script de cet échange improvisé sur le quai de gare:
Le train est arrêté en quai pour une quinzaine de minutes. La plupart des personnes réunies pour le tournage sortent des wagons afin de prendre l’air. Une partie des figurants remercient l’équipe de tournage et quittent la gare. La psy sort et marche le long du quai en saluant les personnes qui ont participé au tournage. Iris court sur le quai pour rejoindre la psy qui part.
IRIS
Marie, tu t’en vas?
La psy s’arrête pour échanger avec Iris.
LA PSY
Oui, mais tu sais que nous allons nous revoir?
IRIS
Ah bon? Comment ça?
LA PSY
Ben oui, il y a une projection prévue en novembre. Tu ne savais pas?
IRIS
Ha, je ne savais pas, mais tu pars déjà?
LA PSY
Oui, je dois aller prendre mon train pour rentrer. Je suis masquée, on se fait un câlin malgré le covid?
Elles se font un câlin.
LA PSY
Bon, salut fille!
IRIS
Pourquoi fille? Moi c’est Iris!
La psy sourit avec bienveillance et amusement.
LA PSY
Oui, comme tu as raison! Salut Iris, je me réjouis de te revoir!
La psy s’éloigne avec le sourire, Iris gambade sur le quai avant de rentrer dans le wagon de tournage.
Comme cette fillette nous fait du bien en revendiquant « qui elle est » du haut de son individualité et de sa personnalité!
Relevons ma maladresse, celle d’appeler de manière aussi générale, banale et stéréotypée une actrice principale ! Que se passe-t-il quand nous nous contentons de grandes lignes pour résumer l’identité de notre interlocuteur, voire jusqu’à ses intentions ? Ne risquons-nous pas d’enfermer les autres dans des définitions qui ne leur correspondent pas et de leur attribuer un rôle trop étroit?
En revendiquant « qui elle est », Iris questionne notre manière de situer l’identité d’autrui en s’appuyant sur les appartenances à un ou des groupes (dans ce cas-ci, un groupe lié au genre auquel elle a été assignée et dans lequel elle ne se reconnaît pas nécessairement). Elle affirme que son identité dépasse son appartenance à ce groupe. Son « Moi c’est Iris » sonne comme un « Je suis quelqu’un d’unique». Elle exerce son pouvoir de se définir par elle-même et nous invite à la connaître.
En quoi est-ce important ?
Qu’on se définisse par des traits de caractère « je suis intro·extraverti·e » ou par des appartenances « je suis homme·femme, homo·hétéro, âgé·e, suisse·expat’·immigré·e, défini·e par mon métier, avec ou sans enfants… », ces grandes classes ont le pouvoir de nuancer le scénario de nos vies. Ces définitions que nous avons de nous-mêmes, tout comme celles dans lesquelles les autres nous enferment, agissent tantôt comme des ressources, tantôt comme des contraintes ou des obstacles à ce que nous souhaitons mettre en œuvre et montrer de nous.
Iris propose à chacun·e d’explorer, à la fois, ce qui le·la rend unique et ce qui le·la lie à une famille ou un groupe. Elle appelle chacun·e à exercer son pouvoir, celui de définir son identité et de questionner ses appartenances à différents groupes sociaux, sans se préoccuper de plaire aux autres. Elle invite à trouver sa liberté et à décliner son identité en fonction du contexte. Elle vous encourage à tenir votre propre rôle dans le scénario que vous co-construisez avec les autres, moment après moment, dans un wagon en marche ou entre deux trains.
Comment jouer avec les scripts et sa liberté ?
Commençons avec un exercice tout simple : complétez la phrase « je suis… » avec cinq éléments qui vous décrivent, comme pour vous présenter.
Ça y est, vous avez complété cinq fois la phrase « je suis… » ?
De vos cinq « je suis… », quelle est l’affirmation centrale, la plus dense? Que vous permet-elle et à quoi fait-elle obstacle ? Qu’est-ce qui deviendrait possible si vous jouiez avec son intensité et l’estompiez temporairement ?
